mercredi 30 décembre 2009

Turquie : une politique étrangère d’ouverture tous azimuts


Le spectaculaire rapprochement entre la Turquie et la Syrie après des années d’animosité et son corollaire : la décision du cabinet Netannyahou de récuser la médiation d’Ankara entre la Syrie et Israël en demandant à la France de jouer ce rôle sont deux manifestations parmi d’autres du redéploiement de la politique étrangère turque. Des politologues et des medias occidentaux s’en inquiètent. Se demandant si la Turquie n’est pas entrain de basculer vers le monde musulman au détriment de son arrimage à l’Europe et au camp occidental ils se posent la question : « sommes nous entrain de perdre la Turquie ? ».
De fait la Turquie joue depuis quelques années un rôle de plus en plus important au Moyen Orient, dans le Caucase et en Asie centrale, alors que la perspective de son adhésion à l’Union Européenne semble s’éloigner. L’inquiétude paranoïaque de certains milieux occidentaux est elle pour autant justifiée ? Et cette évolution n’est elle pas non seulement naturelle mais bénéfique pour tous ses voisins y compris européens ?
Depuis la révolution kémaliste et jusqu'aux années cinquante la Turquie, rejetant son passé ottoman a tourné le dos à ses voisins de l’Est et du Sud se voulant résolument européenne. Mais cette posture exclusive ne tenant pas compte de la géographie et de l’histoire a changé du fait de plusieurs facteurs. La réislamisation du pays qui a entraîné un recul du kémalisme pur et dur défendu par l’armée. L’implosion de l’URSS qui a ouvert de considérables perspectives de coopération au plan politique, économique et culturel entre la Turquie et les républiques turcophones du Caucase et d’Asie centrale. La fin de la guerre froide qui a entraîné un réchauffement de ses relations avec la Russie. Le potentiel important du marché moyen oriental pour une économie turque en pleine croissance. La position géographique du pays au carrefour des routes des hydrocarbures entre l’Asie centrale le Caucase et l’Europe. L’attitude décourageante de l’Union Européenne vis-à-vis de sa candidature d’adhésion. Enfin la venue au pouvoir de l’AKP qui considère que l’ancrage européen de la Turquie et le fait qu’elle soit membre de l’OTAN n’est pas incompatible avec son appartenance au monde islamique et une plus grande implication dans les affaires du Moyen Orient. .
Historiquement cette région a d’ailleurs toujours été dominée par deux puissances la Turquie et l’Iran. Aujourd’hui le déclin du nationalisme arabe, le clivage entre sunnites et chiites et la division des pays arabes ne peut qu’accroître leur influence. Mais alors que celle de l’Iran inquiète, à juste titre, les pays de la région et la « communauté internationale », il ne devrait pas en être de même, au contraire, de celle de la Turquie en qui il faut voir un facteur de stabilité au Moyen Orient. Son islam modéré et sa démocratie servent de contre –modèle à la théocratie iranienne. Poursuivant une diplomatie fondée sur « la conciliation, la paix et le zéro problème avec ses voisins » selon la formule de son ministre des Affaires Etrangères, elle est en bon terme avec tous, y compris la Syrie (dont le président turc vient même de déclarer qu’elle est « la porte de la Turquie vers le Moyen Orient »), l’Irak, le Kurditan irakien et l’Iran. Malgré ou à cause des bonnes relations qu’elle entretient avec Téhéran, les pays arabes « modérés » considèrent qu’elle seule peut faire contrepoids aux visées hégémoniques iraniennes sur la région. C’est aussi l’avis de Joschka Fischer pour qui ‘le principal concurrent de l’Iran dans la région ne sera pas Israël, ni ses voisins arabes, mais la Turquie’

Ce nouveau regard sur le monde arabe et musulman, que d’aucuns qualifient de néo – ottoman, n’empêche pas l’adhésion à l’Union Européenne de rester la priorité stratégique de la Turquie. Celle –ci demeure un allié privilégié des Etats –Unis comme l’a confirmé la visite du président Obama à Ankara où il a d’ailleurs plaidé pour son adhésion à l’Union européenne. Et elle vient d’amorcer un processus historique de réconciliation avec l’Arménie.
On peut certes considérer cette ouverture tout azimuts comme contradictoire et il n’est pas étonnant que la politique « pro arabe » de l’AKP ne plaise ni à Israël ni à certains cercles néo conservateurs américains. Ainsi en octobre 2009 Soner Cagaptay du Washington Institute écrit dans Foreign Affairs que « la politique étrangère turque touchée par l’islamisme n’est plus compatible avec l’Occident ».Cependant, s’il est vrai que le gouvernement AKP, a une sensibilité religieuse islamique, ses choix politiques sont avant tout dictés par une analyse réaliste et rationnelle des intérêts du pays. Au plan économique ils ont contribué à la croissance de ses exportations vers les pays musulmans et la Russie dont elle est devenue le premier partenaire commercial. Au plan géopolitique, occupant une position de pivot stratégique entre la Méditerranée et la mer Noire, l’Asie et l’Europe, la vocation naturelle de la Turquie est de miser sur tous ses cercles d’appartenance afin d’être un pont entre l’Occident et l’Orient .

mercredi 16 décembre 2009

identte nationale

Identité nationale et communautarisme en France et au Liban


Le débat sur l’identité nationale française initié par le président Sarkozy et la réémergence de l’éternelle polémique autour de la déconfessionnalisation du système politique libanais m’ont conduit à réfléchir à nouveau sur ma propre identité, celle de la France et celle du Liban. M’exprimant mieux en français qu’en arabe et ayant acquis la nationalité française, je me sens autant Français que Libanais et ne vois aucune contradiction dans cette double appartenance. Mais je suis conscient que cela ne va pas de soi. Que beaucoup de gens à travers le monde sont tiraillés entre leur appartenance ethnique, linguistique religieuse et nationale, ou se sentent menacés dans leur identité culturelle. Comme le montre l’interdiction des minarets en Suisse, les identités peuvent être « meurtrières ». La mondialisation avec l’intensification des flux migratoires, le recul des idéologies laïques ainsi que le retour en force de la religion dans le champs politique, a entraîné une crispation identitaire.
Rien d’étonnant dans se contexte que le Liban comme la France soient à des titres et à des degrés différents confrontes à des problèmes d’identité, même si sur la base des paramètres structurant l’identité collective, à savoir la langue la religion, le sang et les mœurs, peu de pays sont aussi dissemblables. Bien que partageant trois de ces paramètres : la langue qui constitue le plus important marqueur d’identité, les mœurs et l’ethnie, les Libanais n’ont jamais formé une nation et le Liban n’est dans les faits qu’une fédération à base non territoriale de communautés religieuses. De plus celles-ci ont moins les mêmes mœurs et n’ont pas la même vision de la vocation du pays depuis que le Hezbollah à propagé les valeurs et les objectifs de la théocratie iraniennes au sein de la communauté chiite

La France par contre est, avec l’Angleterre, un des deux plus anciens Etats – Nations au monde et sans doute le modèle le plus accomplis d’Etat unitaire. Mais alors que ce modèle avait permis d’assimiler aisément les immigrants de souche européenne, elle doit faire face à un double défi. Celui de la construction européenne au sein de laquelle elle risque de se diluer et qui explique le rejet par les électeurs du projet initial de constitution européenne ainsi que son opposition à l’adhésion de la Turquie musulmane à l’Union Européenne. Et surtout celui d’une fragmentation communautaire posé par l’immigration africaine et maghrébine qu’elle éprouve de grandes difficultés à intégrer. Attisé entre autres par la crise des banlieues, la question du foulard islamique qui touche à la question sensible des mœurs et les matchs de foot au cours desquels la Marseillaise a été sifflée par des jeunes français issus de l’immigration algérienne, ce problème se pose avec de plus en plus d’acuité avec le dynamisme démographique de la population musulmane et africaine dont l’accroissement risque de dépasser un certain seuil de tolérance. D’où par exemple la prolifération sur la toile de dénonciations virulentes ou caricaturales de l’intégrisme islamique et de « l’invasion musulmane » en Europe. Certes la crise des banlieues a aussi des causes sociales, la majorité des citoyens français musulmans ou d’origine africaine ne demande qu’à s’intégrer et seule une faible minorité de Français de souche adhère aux thèses racistes du Front National. Mais on ne peut pas nier la réalité d’une problématique de l’assimilation et de l’identité, ce qui a incité Eric Besson , Ministre de l'immigration puis le président français à prendre l’initiative de lancer un débat sur l’identité nationale.

Le discours du Président Sarkozy

Au cours d’un discours aux accents quasi-mystiques prononcé le 12 novembre 2009 lors de la commémoration des martyrs de la Résistance du Vercors, le Président de la République, proclamant qu’on doit être fier d’être Français, a tenu à réaffirmer les fondements de l’identité française. Défendant l’idée selon laquelle « une nation est un principe spirituel » unie par des valeurs communes et « la conscience d’appartenir à la même histoire » il s’est fait l’avocat de la diversité culturelle d’une France à l’identité plurielle. Puis abordant les problèmes de l’intégration il a eu ces mots : « Devenir Français c’est adhérer à une forme de civilisation, à des valeurs, à des moeurs. La France est un pays où les croyances de chacun sont respectées mais … où il n’y a pas de place pour l’asservissement de la femme. La France est un pays de tolérance et de respect. Mais elle demande aussi qu’on la respecte. On ne peut pas vouloir tous les avantages de la République si l’on ne respecte aucune de ses lois, aucune de ses valeurs. » Enfin, « pour que la France cesse de vivre l’ouverture non plus comme une chance mais comme une menace », il a conclu par une vibrante plaidoirie en faveur et du rétablissement de l’autorité de l’Etat et des valeurs républicaines, notamment la laïcité.
Cette vision ne fait pas l’unanimité surtout auprès de la gauche qui ne voit pas l’utilité d’un tel débat, bien que Segolene Royal ait demandé que « les politiques s'adressent aux peurs publiques » . Mais l’attitude de la gauche consistant à nier le fait que l’assimilation des minorités noires et musulmanes pose problème ou à le réduire à une dimension sociale n’est pas réaliste. Et affirmer que sa solution passe prioritairement par une réaffirmation des fondements de la République et un renforcement l’autorité de l’Etat ne signifie pas vouloir faire l’économie de réformes indispensables. Cela dit le modèle républicain français est sans doute un des plus exemplaires au monde et le communautarisme serait la pire des solutions. Mais ce modèle est difficilement exportable surtout vers des pays moins homogènes comme la Belgique ou le Liban.

Etat unitaire ou régime communautariste : Le cas du Liban
Au Liban le questionnement sur l’identité nationale porte beaucoup moins sur l’immigration (le problème de l’implantation des réfugies palestiniens étant d’une autre nature) que sur les sentiments d’appartenance respectifs des communautés autochtones à la nation libanaise ainsi que sur leur propension à rechercher des protecteurs étrangers dans leur lutte pour le pouvoir. Constitué par la France en 1920 autour du noyau dur de la Montagne libanaise qui avait déjà une forte conscience nationale, le « Grand Liban » a longtemps été considéré comme une création artificielle par une large frange de sa population musulmane aspirant à se fondre dans une Grande Syrie. D’avantage sunnite que chiite, ces derniers étant minoritaires dans la région, cet irrédentisme a été officiellement rejeté à l’occasion du pacte national scellant l’indépendance du pays en 1943. Pacte ayant inspiré la formule « deux négations ne font pas une nation », les chrétiens ayant pour leur part renoncés à la protection française. Mais si, depuis le déclin du nationalisme arabe et pan syrien, toutes les communautés considèrent désormais le Liban comme leur patrie définitive, elles sont loin d’avoir la même vision du pays. La montée de l’intégrisme religieux dans le monde. Celle de l’islamisme politique qui a remplacé le nationalisme arabe moribond. L’émergence récente d’un clivage régional entre sunnites et chiites. Le recul de la présence chrétienne Enfin le problème du Hezbollah, véritable Etat dans l’Etat dont l’armement, l’idéologie et l’allégeance à une puissance étrangère constituent une menace pour la « formule libanaise » quoique le parti vient de la reconnaître officiellement, renonçant ainsi au projet d’instaurer une République islamique au Liban. Autant de défis qui font qu’aujourd’hui plus qu’hier aspirer à construire un Etat unitaire sur le modèle français est une utopie. Et dans un contexte global où un pays comme la Belgique vient de passer d’un régime unitaire à un régime fédéral et où un autre comme l’Irak est menacé de fragmentation ethnique et communautaire, vouloir abolir le confessionnalisme politique relève au mieux du vœu pieux et au pire de la manœuvre politicienne qui ne peut qu’effrayer les chrétiens. Le mieux étant parfois l’ennemi du bien, le Liban devrait donc à mon sens se contenter de préserver son système imparfait de représentation plus ou moins équilibré entre ses communautés religieuses et de démocratie consensuelle, même s’il risque d’être à nouveau remis en question par des changements démographiques et la montée en puissance du chiisme politique. Certes un tel système ne saurait constituer une véritable nation mais il ne fait que refléter l’exceptionnelle diversité culturelle du pays qui est après tout sa principale richesse.

Ibrahim Tabet
Novembre 2009