Depuis le 11
septembre 2001, le Moyen-Orient et
l’Afrique du Nord sont le théâtre d’une accélération du changement et
d’une succession sans précédant d’événements dramatiques : interventions militaires occidentales, conflits
externes et guerres civiles ,
recrudescence du terrorisme, révolutions et renversements de régimes , processus d’éclatement de certains pays … Les
causes de ces événements sont trop nombreuses
et complexes et pour être résumées en un article ( exacerbation des crispations religieuses et identitaires, existence de régimes
politiques autoritaires et corrompus,
changements socio- démographiques , crise économique et chômage, volontés hégémoniques d’acteurs étatiques et non étatiques locaux et étrangers,
convoitises sur les richesses pétrolières de la région…). Aussi me
contenterais- je d’esquisser un tableau des bouleversements géopolitiques qui pourraient résulter des principaux foyers actuels de crise et qui
nécessitent le changement de certains paradigmes.
Le premier de ces paradigmes concerne l’influence de Washington auquel
analystes et politologues ont coutume d’attribuer un rôle déterminant dans
les affaires de la région. Les
interventions militaires des
administrations Bush père et fils en Afghanistan et en
Irak leur ont certes donnés raison. Mais
celles-ci ont sans doute marqué le
point culminant des tentatives des
Etats –Unis de remodeler la région en fonction de leurs
intérêts et de ceux d’Israël. Et ,
depuis lors, leur influence a sensiblement
diminué pour plusieurs raisons :
L’échec et les conséquences désastreuses de ces interventions ;
leur propre difficultés économiques ;
le fait qu’ils sont appelés à être moins
dépendants du pétrole de la région et à se tourner d’avantage vers la zone Asie-Pacifique ; la chute du régime de Moubarak en Egypte qui constituait leur principal allié arabe et la prise de
distance du pouvoir irakien qu’ils ont
mis en place à leur égard ; et enfin l’émergence d’un contexte géopolitique international
multipolaire où les pays dits
« BRICS » ont de plus en plus d’influence dans les affaires du monde. Le
désengagement relatif de
Washington s’est manifesté dernièrement lors de l’intervention militaire en Lybie dont elle a
laissé l’initiative à la Grande - Bretagne et à la
France ainsi que dans ses
réticences à appuyer
militairement l’opposition syrienne.
La perte d’influence de
Washington n’a pas pour autant bénéficiée à l’Europe qui est empêtrée dans une crise économique encore plus grave et peine
à définir une politique étrangère
commune. C’est pourquoi, bien que
sa politique étrangère s’ inscrive désormais d’avantage dans un cadre européen et
atlantique, la France est appelée à continuer à jouer
un rôle clef au niveau des
relations entre les rives nord et sud de la
Méditerranée. Puissance méditerranéenne de premier ordre, elle
est
en effet aussi le pays européen dont les liens historiques et culturels
avec les pays du Maghreb et du Levant sont les plus forts. Son influence
bénéficie également du fait qu’elle jouit
d’une image moins partiale envers Israël
que des Etats–Unis. Celle-ci lui a permis,
par exemple au Liban, de gagner
la confiance des différentes factions locales
tout en n’ayant de cesse de contrer, dans la mesure de ses moyens, le pouvoir de
nuisance du régime syrien qu’elle a moins besoin maintenant de ménager.
Dans ce contexte, et au vu de la fragmentation du monde arabe qui fait le jeu d’Israël, ce sont les poids lourds régionaux historiques,
la Turquie et l’Iran, qui occupent de
plus en plus le vide de puissance. Cette tendance qui avait déjà pris naissance à l’occasion du déclin du nationalisme arabe et de la montée de l’islamisme
politique est appelée à se renforcer avec l’apparition du clivage sunnite-chiite, le fractionnement de l’Irak et la guerre civile ravageant la Syrie ; laquelle est
aussi une guerre par procuration. D’acteur
de premier plan , celle-ci est devenue, comme il y a peu de temps le Liban,
l’arène, où se
règlent les principaux enjeux sur l’échiquier géopolitique régional : D’une
part la confrontation entre
l’axe chiite est –ouest allant de l’Iran
au fief du Hezbollah au Sud –Liban en passant
par l’Irak et la Syrie, et l’axe
sunnite dont les fers de lance sont la Turquie, l’Arabie Saoudite et Qatar ;
et d’autre part la volonté commune de
la Russie de la Chine de contrer la suprématie de l’Occident dans la
conduite des affaires du monde. Mais
alors que l’appui de la Russie et de
l’Iran au régime syrien est sans faille, il n’en est pas de même de l’appui occidental à l’opposition syrienne.
Réticence qui n’est pas uniquement due aux divisions de cette dernière
mais à la crainte que suscite l’influence
grandissante des islamiste radicaux en son sein. Quand au problème palestinien il est relégué
aux oubliettes et a perdu de sa centralité au profit de celui du nucléaire iranien qui polarise les
appréhensions de l’Occident et des monarchies pétrolières du Golfe.
Il est top tôt
pour entrevoir l’avenir du printemps arabe.
La région traverse en effet une période de transition qui peut aussi
bien déboucher sur un hiver islamique ou
une consolidation de la démocratie dans
les pays qui ont connu des élections
libres (Tunisie, Egypte et même Lybie si elle parvient à surmonter ses divisions tribales et régionales
). Tout ce qu’on peut
dire c’est que rien ne sera plus
comme avant. Cette vague de soulèvements rappelle
celui des démocraties
populaires et le printemps des peuples
en 1848 en Europe. Contrairement à la Nahda restreinte à
une élite et aux
pronunciamientos militaires coutumiers
de la région, il correspond à une lame de fond populaire traduisant de profondes mutations démographiques
socio-économiques et culturelles, amplifiée par les nouveaux moyens de
communication, notamment les réseaux sociaux. On peut regretter qu’en Tunisie et en
Egypte les régimes autoritaires en place aient été remplacés par des régimes
islamistes. Mais ce point négatif est largement compensé par le réveil
des populations qui ne sont plus disposés
à
subir passivement comme par le passé des
pouvoir autoritaires et corrompus. Et
comme les islamistes au pouvoir
ne manqueront probablement pas de décevoir
les attentes des électeurs, les partis
laïcs et la société civile n’y ont pas dit leur dernier mot.
Les autres motifs d’inquiétude ne
manquent pas : Crainte
concernant le sort des minorités : celui des
chrétiens de Syrie qui risquent de subir le destin tragique de leurs coreligionnaires irakiens, ce
qui pousse nombre de chrétiens syriens et libanais, laïcs et religieux, à prôner
une alliance des minorités ; et , dans une moindre mesure, celui du sort des
Coptes d’Egypte qui de font pas face à une menace existentielle et dont
seul le statut pourrait être affecté par l’islamisation du pays. Crainte
d’une frappe aérienne israélienne contre les installations nucléaires
iraniennes qui aurait des conséquences dévastatrices pour le Liban,
bien que le scénario d’une
solution négociée favorisée par l’efficacité
des sanctions contre l’Iran de
doive pas être écarté. Enfin et surtout, craintes
concernant la guerre civile en Syrie. A moins d’une hypothétique solution
politique et même
si le régime Assad est condamné à
plus ou moins long terme , celle-ci a tout l’air de s’installer dans la
durée. Avec comme
conséquence une division de facto du
pays en zones alaouites, sunnites, kurdes et peut-être druzes, et mêmes en ilots contrôlés
par des milices extrémistes
salafistes ou mafieuses , accompagnée
d’un surcroit de victimes, de chaos, de destructions et de haine vengeresse. Elle risque de plus d’avoir des répercussions
sur les pays voisins : en particulier
Irak et, dans une moindre mesure, la Turquie et le Liban. L’Irak parce que les sunnites, qui ont été écartés du pouvoir par les chiites après la faillite de la prétention américaine d’instaurer la
démocratie par la force, ne
manqueront pas de
tenter de le reconquérir en cas
de victoire de leurs coreligionnaires en Syrie, ce qui augure de la
recrudescence de la violence dans ce pays. La Turquie à travers l’émergence probable d’une nouvelle
entité autonome kurde jouxtant celle existant en Irak. Le
Liban car, même si le scénario d’un
nouvel embrasement généralisé est à
écarter, aucune partie n’y ayant intérêt, la
tension politique et les incidents
sécuritaires risquent d’augmenter. D’un coté en effet le camp du 14 mars mise sur un
affaiblissement et même un
changement à terme de régime en
Syrie pour accentuer sa pression sur le
Hezbollah. Et de l’autre celui-ci pourrait être tenté de compenser la
perte probable de l’appui de la Syrie
qui constitue sa base arrière pour renforcer son emprise sur l’Etat libanais.
De toute façon au vu du rapport de force
actuel, on ne voit pas pourquoi il consentirait à renoncer à
son armement qui s’est transformé
en outil au service de ses ambitions hégémoniques sur la scène locale, ou à son autonomie de décision militaire, sans compensations politiques. En définitive l’issue du bras de fer entre
les acteurs locaux du jeu politique
libanais dépendra comme d’habitude moins
d’eux que de leurs parrains étrangers et du contexte régional
Ibrahim Tabet
Novembre 2012
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