mardi 4 décembre 2012

Où vont la région et le Liban ?


Depuis  le  11 septembre  2001,  le Moyen-Orient   et l’Afrique du Nord  sont  le théâtre d’une accélération du changement et d’une succession   sans précédant  d’événements dramatiques :  interventions militaires occidentales, conflits externes et  guerres civiles , recrudescence du terrorisme,   révolutions  et renversements  de régimes , processus  d’éclatement de certains pays   … Les causes de ces événements sont trop nombreuses  et complexes et pour être résumées en un article ( exacerbation des  crispations  religieuses et identitaires, existence de   régimes politiques autoritaires  et corrompus, changements   socio- démographiques ,  crise économique et chômage,    volontés hégémoniques d’acteurs étatiques  et non étatiques locaux et étrangers, convoitises sur les richesses pétrolières de la région…). Aussi me contenterais- je  d’esquisser  un tableau des bouleversements  géopolitiques qui  pourraient   résulter  des principaux foyers actuels de crise et qui nécessitent  le  changement de certains  paradigmes.    

Le  premier de ces paradigmes  concerne l’influence  de Washington   auquel   analystes et politologues   ont   coutume d’attribuer un rôle déterminant dans les affaires de la région.  Les interventions  militaires  des  administrations  Bush  père et fils en  Afghanistan et   en Irak  leur ont  certes donnés raison.   Mais  celles-ci ont sans doute  marqué   le point culminant des  tentatives  des  Etats –Unis  de  remodeler la région en fonction de leurs intérêts et de ceux d’Israël.  Et , depuis lors,   leur  influence  a sensiblement  diminué pour plusieurs raisons :  L’échec   et les  conséquences désastreuses de ces interventions ; leur  propre difficultés économiques ;  le fait qu’ils sont appelés à être moins dépendants du pétrole de la région et à  se tourner d’avantage vers  la zone Asie-Pacifique ;   la chute du régime de Moubarak  en Egypte qui constituait  leur principal allié arabe et la prise de distance du  pouvoir irakien qu’ils ont mis en place à  leur égard ;   et enfin l’émergence d’un  contexte géopolitique international multipolaire où  les  pays dits  « BRICS »  ont  de plus en plus  d’influence dans les affaires du monde.  Le  désengagement  relatif de Washington  s’est manifesté  dernièrement lors de l’intervention  militaire en Lybie dont  elle a  laissé  l’initiative à  la Grande - Bretagne et à   la France   ainsi que  dans ses  réticences à  appuyer militairement l’opposition syrienne.      

La perte d’influence de Washington n’a pas pour autant bénéficiée à   l’Europe  qui est empêtrée dans une  crise économique  encore plus grave et    peine  à  définir une politique étrangère commune.  C’est pourquoi,  bien que  sa politique  étrangère  s’ inscrive désormais  d’avantage dans un cadre européen et atlantique,  la France est appelée à  continuer  à  jouer un rôle  clef  au niveau  des  relations   entre les rives nord et sud de la Méditerranée.  Puissance   méditerranéenne de premier ordre,  elle  est  en effet aussi le pays européen dont les liens historiques et culturels avec les pays du Maghreb et du Levant sont les plus forts.   Son influence bénéficie également du fait  qu’elle jouit  d’une image moins partiale envers Israël que  des Etats–Unis. Celle-ci  lui  a permis,  par exemple au Liban,   de gagner la confiance des  différentes factions locales tout en n’ayant  de cesse de contrer,  dans la mesure de ses moyens, le pouvoir de nuisance du régime syrien qu’elle a moins besoin maintenant de ménager.          

Dans ce contexte,  et au vu de la  fragmentation  du monde arabe qui fait  le jeu d’Israël,  ce sont les poids lourds régionaux historiques, la Turquie et l’Iran, qui  occupent de plus en plus le vide de puissance.    Cette tendance qui  avait déjà pris naissance à  l’occasion du déclin du nationalisme  arabe et de la montée de l’islamisme politique  est appelée à  se renforcer avec  l’apparition du clivage sunnite-chiite,  le fractionnement de  l’Irak et  la guerre civile  ravageant  la  Syrie ;  laquelle   est aussi une guerre par procuration.   D’acteur de premier plan , celle-ci est devenue, comme il y a peu de temps le Liban, l’arène,     se règlent  les  principaux enjeux  sur  l’échiquier géopolitique régional   :   D’une part   la   confrontation   entre l’axe  chiite est –ouest allant de l’Iran au fief du Hezbollah au  Sud –Liban  en passant  par l’Irak et la Syrie,  et l’axe sunnite dont les fers de lance sont la Turquie, l’Arabie Saoudite et Qatar ; et d’autre part   la volonté commune de la Russie de la Chine  de  contrer la suprématie de l’Occident dans la conduite des affaires du monde.  Mais alors que l’appui de la  Russie et de l’Iran  au régime syrien  est sans faille,  il n’en est pas de même de l’appui  occidental à l’opposition  syrienne.  Réticence qui n’est pas uniquement due aux divisions de cette  dernière   mais à   la crainte que suscite l’influence grandissante des islamiste radicaux en son sein.  Quand au problème palestinien il est relégué aux oubliettes et a perdu de sa centralité au profit  de celui du  nucléaire iranien qui polarise les appréhensions de l’Occident et des monarchies pétrolières du Golfe.  

Il est top tôt pour entrevoir l’avenir  du printemps  arabe.  La région traverse en effet une période de transition qui peut aussi bien déboucher sur un hiver  islamique ou une consolidation de la démocratie  dans les  pays qui ont connu des élections libres (Tunisie,   Egypte   et  même  Lybie  si elle parvient à  surmonter ses divisions tribales et régionales ).    Tout  ce qu’on peut  dire c’est  que rien ne sera plus comme avant.   Cette   vague  de soulèvements   rappelle  celui des  démocraties populaires  et le printemps des peuples en  1848 en Europe.  Contrairement à la Nahda  restreinte à  une élite   et aux pronunciamientos  militaires coutumiers de la région,   il  correspond à une lame de fond  populaire traduisant  de profondes mutations  démographiques  socio-économiques et culturelles,  amplifiée par les nouveaux moyens de communication, notamment les réseaux sociaux.    On  peut regretter qu’en Tunisie et en Egypte  les  régimes autoritaires  en place aient été remplacés par des régimes islamistes.   Mais  ce point  négatif est largement compensé par le réveil des populations  qui ne sont plus disposés   à subir passivement  comme par le passé des  pouvoir  autoritaires et corrompus.   Et  comme les islamistes   au pouvoir ne manqueront probablement  pas de décevoir les attentes des électeurs,  les partis laïcs et la société civile n’y ont pas dit leur dernier mot.

Les autres   motifs d’inquiétude   ne manquent pas :    Crainte concernant   le sort des minorités :  celui   des chrétiens de Syrie qui risquent de subir le destin tragique   de leurs coreligionnaires irakiens, ce qui   pousse  nombre de chrétiens  syriens et libanais, laïcs et religieux,   à prôner  une alliance des minorités ; et , dans une moindre mesure,  celui du  sort  des Coptes d’Egypte  qui de font pas face à  une menace existentielle  et  dont seul le statut  pourrait être  affecté  par l’islamisation du pays.   Crainte   d’une frappe aérienne israélienne  contre les installations nucléaires iraniennes qui aurait  des conséquences dévastatrices  pour   le Liban,   bien que le scénario d’une solution négociée favorisée par l’efficacité  des sanctions  contre l’Iran de doive pas être écarté.  Enfin  et surtout,  craintes  concernant   la guerre  civile en Syrie. A moins d’une hypothétique solution  politique  et même  si  le régime Assad est condamné à plus ou moins long  terme ,  celle-ci a tout l’air de s’installer dans la durée.   Avec   comme conséquence  une division de facto du pays  en zones alaouites, sunnites,  kurdes et  peut-être druzes,  et mêmes en ilots  contrôlés  par des milices extrémistes  salafistes ou mafieuses ,   accompagnée d’un surcroit de victimes,  de chaos,   de destructions et  de haine vengeresse.     Elle risque de plus d’avoir des répercussions sur les pays voisins : en  particulier Irak et, dans une moindre mesure,   la Turquie et le  Liban. L’Irak parce que les   sunnites, qui ont été écartés  du pouvoir par les chiites  après la faillite  de la prétention américaine d’instaurer la démocratie par la force,  ne manqueront  pas  de  tenter de le reconquérir  en cas de victoire de leurs coreligionnaires en Syrie, ce qui augure de la recrudescence de la violence dans ce pays.  La Turquie à  travers l’émergence probable d’une nouvelle entité autonome kurde jouxtant   celle existant en Irak.    Le Liban car,  même si le scénario d’un nouvel  embrasement généralisé  est à   écarter,  aucune partie n’y ayant  intérêt, la  tension politique et  les incidents sécuritaires risquent  d’augmenter.  D’un coté  en effet  le camp du 14 mars  mise sur un   affaiblissement et  même un  changement à terme de régime  en Syrie  pour accentuer sa pression sur le Hezbollah.  Et de l’autre   celui-ci pourrait être tenté de compenser la perte  probable de l’appui de la Syrie qui constitue sa base arrière pour renforcer son emprise sur l’Etat libanais. De toute façon au vu du rapport de force  actuel,  on   ne voit pas pourquoi il consentirait   à renoncer à  son armement  qui s’est transformé en outil au service de ses ambitions hégémoniques sur la scène locale,  ou  à  son autonomie de décision  militaire, sans compensations politiques.  En définitive l’issue du bras de fer entre les acteurs locaux  du jeu politique libanais dépendra comme d’habitude  moins d’eux que de  leurs  parrains étrangers  et du contexte régional

Ibrahim Tabet

Novembre 2012

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